Archives

Je dois à Laurent Gaudé les premières gratifications de mon métier. Quand, en 2004, je découvre Le Soleil des Scorta quelques semaines avant sa parution, je sais détenir un grand roman et le conseille à tour de bras aux lecteurs de la librairie où je travaille à mi-temps. Deux mois après, il obtient le prix Goncourt et nombreux sont ceux qui viennent me remercier de le leur avoir fait lire. C’est indéniablement par timidité, mais aussi parce que j’imagine les nombreuses sollicitations qu’il reçoit, que je ne l’ai invité qu’au bout de sept ans dans la librairie. Comme moi, ses lecteurs lui sont fidèles depuis longtemps. Mais je réalise avec Danser les ombres et quelques chroniques journalistiques que Laurent Gaudé est de plus en plus engagé. Son rôle d’écrivain humaniste, notamment au sujet des migrants, devient plus visible. Jusqu’au jour où paraît Écoutez nos défaites. Cette fois-ci, Laurent Gaudé sort de la fable mythologique et propose un roman concret, historique et philosophique autour de la notion de défaite. Après quelques semaines de présence sur nos tables, je constate que son public s’est élargi, que le temps a fait de lui un homme et un écrivain mature qui interroge le monde de face. Je sais que la réponse à mon invitation risque de prendre du temps ou n’aboutira pas mais je tente ma chance. En effet, nous aurons l’honneur de sa visite neuf mois plus tard mais il y a un « bonus ».

Entre-temps, il a fait paraître son premier recueil de poèmes. Proses poétiques qui rendent hommage aux opprimés, De sang et de lumière renferme quelques perles écrites en 2014 et 2016. Parmi lesquelles le poème éponyme, portrait miroir de l’Europe et de l’Afrique et hommage aux cultures de la Méditerranée. Ce texte me bouleverse à tel point que je prends l’initiative – le culot, devrais-je dire – de lui en demander la lecture à haute voix pour clore la rencontre.

Dans une librairie écrasée par la chaleur de fin mai et de la présence des quelque soixante-dix personnes qui sont venues le rencontrer, ces dix minutes de lecture auront créé un magnifique instant de communion, un des plus forts souvenirs que j’aie eu à vivre en dix ans.

Merci, Laurent.